Une voix, un violoncelle, la nature

10 septembre 2012

Une voix, un violoncelle, la nature

Retour sur une soirée lecture en Haute-Marne

Une balade nocturne dans la Réserve naturelle de Chalmessin

Le samedi 1er septembre 2012

17h30
Alors que mes compagnons d'animation et moi étions sur le terrain depuis midi pour préparer, nous caler... Alors que nous préparions les ânes à bâter, la pluie arrive, juste quelques gouttes... mais un ciel gris et menaçant... et une température annonçant l'automne du plateau de Langres. Arg ! Que faire ? Pas le choix, les participants arrivent et puis les violoncelles pourront être essuyés en fin de soirée, les deux jeunes violoncellistes, Antoine Touche et Clara Fellmann, nous l'ont assuré. On y va !

18h30
Les ânes sont bâtés de ce dont les participants ont voulu se délester. Nous démarrons. 30 minutes de marche depuis le centre du village jusqu'à la Réserve naturelle. Ne m'occupant pas des ânes (ce n'est pas mon truc encore), je butine parmi les participants, questionnant, sondant le public, faisant connaissance.

19h
Notre route se sépare provisoirement de celle des ânes. Je prends le groupe complètement en charge et nous pénétrons dans la Réserve naturelle.
Magique : le ciel s'est dégagé ! Le soleil nous offre ses derniers rayons du jour. Une belle lumière rasante éclaire la roselière alors que j'invite les participants à lire des citations que j'ai disséminées dans la nature. Une citation de Jacques Lacarrière (Le pays sous l'écorce) répartie en plusieurs morceaux accrochés dans les roseaux. Des citations imprimées sur transparents, sur le thème du paysage, accrochées à des barbelés.
Quel calme... 50 personnes autour de moi et quel calme ! Seuls quelques enfants papillonnent et batifolent. Les adultes se laissent imprégner de la magie du moment : le soleil couchant, la nature, quelques extraits littéraires en guise de mise en bouche.

Un peu plus tard, nous nous glissons en sous-bois, sur la plate-forme laissée au sol par une ancienne charbonnière, "une aire à faude". Quand les participants me rejoignent, je leur offre un petit bout de charbon de bois que j'ai trouvé sous la litière de feuilles mortes. Tout le monde s'installe confortablement et je commence ma lecture. Une chronique (issue de l'ouvrage Plutôt le dimanche) de Franz Bartelt, auteur ardennais, qui rend hommage au dernier charbonnier de l'Ardenne et évoque ces traces du passé que nous trouvons encore aujourd'hui sur le sol forestier.

A nouveau en chemin, au pied d'un beau hêtre, je convoque ensuite quelques auteurs pour qu'ils nous parlent des arbres, de la forêt et des Hommes. Je prononce alors des extraits de Tomas Tranströmer (poète suédois, prix Nobel de littérature 2011), Maurice Genevois, Kenneth White, Sylvie Germain, etc.

Nous continuons d'avancer... et les violoncelles entrent en jeu. Petit concert en sous bois avant le repas tiré du sac que nous partageons près d'une cabane évoquant la hutte des anciens charbonniers. A l'apéro, du sirop de sureau avec de l'eau ou du vin... Et puis, offert à chacun, un tout petit haïku japonais. "Vous prendrez bien un petit haïku en apéro?" Nous nous égaillons tous dans la clairière pour nous sustenter entre amis.

Le violoncelle s'annonce en digestif et c'est l'heure de reprendre la route. La nuit s'est installée tout à fait. Deux lampes tempêtes ouvrent et ferment notre curieuse procession et une dizaine de personnes sont munies de lampions blancs.

Au coeur de la Réserve naturelle, le marais se fait scène et le ponton devient gradin. Je lis un extrait de Jacques Lacarrière (Le pays sous l'écorce) .
« Il ne s’agit plus seulement d’émettre des labiales ou des sifflantes, même approximatives, mais de m’unir aux vibrations de l’air, de faire de tout mon corps un violon viscéral ! ».
Lorsque j'achève ma lecture, un violoncelle me répond accompagné d'une chouette hulotte qui vient de s'inviter à notre soirée... à moins que ce ne soit l'inverse !

Le groupe, ponctué de petites lumières comme autant de lucioles, poursuit sa progression nocturne.

Un conte sous un très très vieux hêtre et puis une lecture près d'un petit arbre mort éclairé de bougies. Un autre extrait de Jacques Lacarrière (Le pays sous l'écorce, toujours) suivie d'une drôle d'énumération : je lis une trentaine de noms d'insectes xylophages dans un latin prononcé avec un accent aux notes roumaines. Je suis accompagnée des improvisations d'Antoine au violoncelle.

Malgré la pleine lune, le sous-bois est sombre. En tête de file, je marche doucement pour imprimer mon rythme à tout le groupe. Cela laisse le temps à nos amis violoncellistes de s'installer pour nous offrir le dernier concert de la soirée.

Quant à moi, près d'un "piano à bottes" aménagé sur le sentier de découverte de la Réserve naturelle et surtout près d'un ruisseau marécageux où de nombreux enfants ont laissé leurs bottes, je ne résiste pas à boucler le menu de lectures par un extrait de Vendredi ou les limbes du pacifique (Michel Tournier) où il est question de fange, de souille et de sangliers !

23h
Nous avons regagné le village. Les ânes sont déchargés de leurs sacoches. Chacun récupère ses petits bagages avant de s'acheminer vers le retour. Le groupe se dissout peu à peu... non sans témoignage d'enchantement. "Merci. C'était bien cette soirée. La voix, les violoncelles, la nature... Oui, et la nature surtout !" Des mots simples qui en disent beaucoup.